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11 juin 2024

Décarboner son scope 3 : quels enjeux pour sa chaine de valeur ?

Jusqu’en 2023, le bilan des émissions de gaz à effet de serre (GES) des entreprises de plus de 500 salariés se limitait au scope 1 qui concerne les émissions directes et au scope 2 pour les émissions indirectes liées aux consommations d’énergie de l’entreprise. Plus difficile à appréhender, le scope 3 a longtemps été mis de côté avant de devenir le focus de toute réduction de GES. Pourquoi ? Ce scope représente souvent plus de 75 % des émissions de GES d’une entreprise, il est donc impossible d’établir un véritable plan de décarbonation sans intégrer ces émissions.

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Depuis janvier 2023, la réglementation européenne impose aux entreprises de plus de 500 salariés d’intégrer le scope 3 dans leur bilan GES. Mais où commence et où s’arrête ce fameux scope 3 ? Et pourquoi toutes les entreprises - quelle que soit leur taille - sont concernées de près ou de loin ? En effet, toute la difficulté de ce scope 3 réside dans l’étendue de son spectre et des émissions à prendre en compte. 

Le Scope 3 est l’un des trois niveaux d’émissions de gaz à effet de serre identifiés par le GHG Protocol(1) et englobe toutes les émissions indirectes issues en amont et en aval des activités de l’entreprise :

Émissions indirectes liées au transport

Transport de marchandise amont ; transport de marchandise aval ; déplacement domicile-travail ; déplacements visiteurs et clients ; déplacements professionnels.

Émissions indirectes liées aux produits achetés

Achat de biens ; immobilisations de biens ; gestion des déchets ; actifs en leasing amont ; achats de services.

Émissions indirectes associées aux produits vendus

Utilisation des produits vendus ; actifs en leasing aval ; fin de vie des produits vendus ; investissements.

Autres émissions indirectes :

Emissions ne relevant d’aucun autre poste du scope 3.

Il s’agit donc de prendre en compte les émissions de GES de toute la chaîne de valeur, celles générées en dehors du périmètre opérationnel de l’entreprise, soit par ses fournisseurs, ses prestataires de service, ses distributeurs, ses clients et ses utilisateurs finaux des produits et services. C'est en ce sens que ce sont bien toutes les entreprises qui sont concernées par le scope 3.

 

Toutes les entreprises peuvent être le scope 3 d’une autre

La prise en compte du scope 3 signifie donc que la décarbonation de nos économies se joue à l’échelle de tous les acteurs des chaînes de valeur et du cycle de vie des produits. 

Cette convergence d’intérêts plaide pour que les donneurs d’ordres et leurs fournisseurs se coordonnent, et ce, notamment dans le domaine du transport. D’une part, parce que le transport est souvent un poste important du scope 3. D’autre part, il présente l’avantage d’être beaucoup plus facile à quantifier que d’autres postes, comme par exemple l’utilisation des produits par les clients finaux. C’est pourquoi toute entreprise utilisant des services de transport gagne à avoir une stratégie de collaboration avec ses transporteurs, sur la partie fret amont (approvisionnements) comme sur la partie aval (distribution, livraison du dernier kilomètre).

Cette stratégie se traduit typiquement par des engagements ou contrats de plus longue durée avec les transporteurs qui décarbonent leurs prestations en accélérant la modernisation de leur flotte ou en optant pour des carburants alternatifs comme les nouveaux biocarburants, souvent plus chers mais émettant jusqu’à 90 % de CO2 de moins que le gazole.

C’est pourquoi, même sans être concernées par les réglementations, toutes les entreprises sont encouragées à produire leur bilan carbone - peu importe leur taille - seule voie pour agir massivement et efficacement sur le bilan carbone global et pour pouvoir répondre aux demandes de ses partenaires soumis à ces réglementations. 

Les PME et TPE seraient à l’origine de près de 9 % des émissions en France et, si l’on compte les émissions de GES liées aux trajets domicile-travail et aux matériaux et fournitures du scope 3, le total représente 12 à 14 % des émissions de la France(2).
 

 

Pourquoi accorder une telle importance au reporting de ses émissions indirectes ?

Le Scope 3 est un réel enjeu pour les entreprises : mesurer leurs émissions indirectes est en réalité le seul moyen de maîtriser leur impact environnemental global ; ce qui devient essentiel pour accéder à un avantage concurrentiel significatif. Le bilan carbone fait partie de la stratégie globale fondée sur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et s’inscrit dans la stratégie de neutralité carbone pour 2050. Ainsi, se préoccuper de son bilan carbone, même pour une PME, c’est anticiper la réglementation qui ne manquera pas d’arriver et susciter un avantage en termes d’image. L'écosystème des clients, prospects, candidats, salariés notamment est de plus en plus sensibles aux arguments environnementaux.

 

Au-delà d'un avantage concurrentiel, la décarbonation du scope 3 peut permettre des gains non négligeables :

  • sur le plan économique : une réduction des émissions de GES diminue les coûts de fonctionnement ;
  • sur le plan de l’approvisionnement : connaître son bilan carbone permet de mieux maîtriser l’éco-conception, dont le recyclage des ressources et une politique de transport responsable ;
  • sur le plan business : la réalisation du bilan carbone permet d’accéder aux marchés des entreprises et collectivités qui, pour ne pas alourdir leur scope 3, sélectionnent leurs fournisseurs et prestataires en fonction de ce critère.

 

Analyser son Scope 3 : comment faire ?

Communiquer sur ses émissions indirectes est un enjeu, mais c’est aussi un réel défi. Selon l’Ademe, seulement 9 % des entreprises déclarent avoir la capacité d’estimer leur Scope 3 avec précision. Sans doute parce qu’il n’existe pas de méthodologie unique pour y parvenir : le recensement des émissions de GES indirectes est itératif, c’est un investissement sur le moyen et long termes.

Le domaine du transport de produits a l’avantage d’être le plus aisément quantifiable et les entreprises utilisant ces services reçoivent un écho favorable de leurs transporteurs. Deux autres postes liés au transport permettent aux entreprises d’améliorer rapidement leur bilan carbone global

  1. les déplacements professionnels (prestation d’installation, de dépannage et maintenance d’équipements ; d’expertises et relevés in situ ; de santé à domicile, etc.), pour lesquels les solutions d’optimisation de tournées permettent de réduire de l’ordre de 20 % les kilomètres parcourus et donc les consommations de carburant et les émissions associées.
  2. les déplacements domicile-travail : l’obligation, depuis 2019, de mettre en place un plan de mobilité employeur pour toutes les entreprises de plus de 50 salariés accélère la prise en compte de ce poste, et les incitations des salariés à décarboner leurs déplacements sont de plus en plus nombreuses.

Toutes les entreprises peuvent ainsi agir sur les postes transport de leur bilan carbone (scope 1 et scope 3). Et avant même de se donner des objectifs, la quantification des émissions est la première étape pour mettre en place un plan d’actions pertinent. Pour celles qui veulent aller plus loin, elles peuvent structurer leur méthodologie autour de différentes ressources : collecte de datas internes ou externes, accompagnement par des organismes spécialisés auquel l’entreprise serait éligible, initiation du dialogue avec les parties prenantes, questionnaires auprès de ses fournisseurs, etc. Un cercle vertueux pourrait petit à petit émerger et contribuer à l’amélioration continue de la collecte de données vers un bilan plus précis des émissions.

17 % des PME et ETI interrogées déclarent avoir fortement investi financièrement dans un plan de décarbonation structuré en 2023 (six points de plus qu’en 2022)(3).
 

 

Le saviez-vous ? 

La Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) est une directive européenne entrée en vigueur en 2024 avec une application progressive. D’ici à 2028, les 50 000 entreprises identifiées comme éligibles à la directive devront répondre aux standards de reporting établis en matière environnementale, sociale et de gouvernance (ESG). 

Ses objectifs ? S’adresser à un éventail d’entreprises élargi, tout en précisant et en standardisant les critères de reporting. Il s’agit d’améliorer la disponibilité, la qualité et la comparabilité des entreprises en matière d’ESG.

En 2025 pour leur reporting de 2026, les entreprises éligibles à la CSRD répondent au moins à deux des trois seuils suivants :

  • un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros ;
  • des effectifs dépassant 250 individus ;
  • un total bilan de plus de 25 millions d’euros.

Côté PME, celles cotées sur un marché réglementé européen, sauf les microentreprises, devront établir leur reporting en suivant la directive CSRD dès 2027 (avec une période transitoire de deux ans tolérée).

 

(1) Green House Gas Protocol : méthodologie de mesure et de contrôle des émissions de GES reconnue au niveau international.  

(2) Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE), Rapport TPE-PME ”comment réussir le passage à la neutralité carbone ?"

(3) Baromètre Argos et BCG, édition 2024.