Au-delà de la contrainte, la CSRD (Corporate Sustainable Reporting Directive) est un enjeu stratégique pour les directions générales. Valérie Baschet et Didier Sensey, tous deux co-présidents de meaneo - notre partenaire sur la structuration de la démarche RSE des entreprises - analysent les impacts et les opportunités de cette réglementation européenne sur votre activité.
L’originalité et la force de la CSRD, c’est de ne pas être simplement un énième reporting de données. Bien entendu, les indicateurs RSE traditionnels devront être suivis, pilotés et publiés. Mais l’entreprise devra surtout s’attacher à démontrer comment dans sa gouvernance, sa stratégie, sa proposition de valeur, ses opérations, elle intègre les sujets de durabilité, définissant ainsi une trajectoire vers un modèle économique soutenable et durable au service de l’ensemble de ses parties prenantes.
Elle devra prendre des engagements d’atteinte d’objectifs sociaux et environnementaux pour contribuer à apporter une réponse aux immenses défis auxquels nos sociétés et la planète sont confrontées. Le prisme innovant de la double matérialité en constituera le pivot essentiel : l’entreprise devra non seulement intégrer dans son analyse les risques financiers issus des grandes évolutions sociales et environnementales auxquelles elle est confrontée (matérialité financière) mais également évaluer l’impact de ses activités sur son environnement (matérialité à impact).
Cette analyse de double matérialité conduira à établir une trajectoire de durabilité et le choix des indicateurs de suivi pertinents pour l’entreprise pour enfin publier son rapport CSRD.
S’agissant du point de départ d’un processus de transformation profond, le sujet est éminemment stratégique et doit absolument être traité comme tel par les directions générales.
Toutefois, la durabilité constitue encore pour la plupart des entreprises un sujet nouveau, complexe, appréhendé le plus souvent sous l’angle essentiel mais réducteur de l’environnement ou de l’empreinte carbone alors qu’il impose de mener une réflexion de fond préalable sur la gouvernance et le social. Il peut même parfois être considéré comme une thématique ésotérique très éloignée de la réalité quotidienne de l’entreprise, dès lors que l’on y associe le sens, la raison d’être ou encore la culture, piliers essentiels d’une démarche de durabilité volontariste. Il y a donc beaucoup d’a priori, très peu de repères ou de retours d’expériences alors que les calendriers sont très serrés et que le sujet va devoir s’intégrer dans un quotidien surchargé. Facteur aggravant, l’écosystème qui se déploie autour de la CSRD et qui a vocation à faciliter son adoption par les entreprises, met le plus souvent en avant sa complexité, le millier de datapoints que l’entreprise devra suivre et reporter, le tout enveloppé d’un vocabulaire destiné à renforcer le caractère technique et rébarbatif du sujet : matrice de double matérialité, taxonomie verte, ESRS (European Sustainability Reporting Standards), trajectoire de décarbonation, plan de résilience et bien d'autres encore.
Par où commencer pour faire de ce reporting de durabilité un sujet fédérateur et motivant pour les dirigeants et leurs équipes, à la hauteur des hautes ambitions qu’il véhicule ? Dans un premier temps, en expliquant aux équipes les enjeux qu’il adresse afin de les embarquer dans un projet qui les concerne tous : en comprenant l’importance devenue vitale d’un sujet qui s’inscrit dans une évolution inéluctable du modèle capitaliste, on facilite la mobilisation. En outre, cet effort pédagogique essentiel évite le scepticisme, voire le procès en opportunisme qui pourrait être fait à des dirigeants qui ne se seraient pas jusque-là distingués par un attachement particulier à la cause environnementale et sociale de leur entreprise.
Dans un second temps, en enlevant toute complexité superflue pour rendre l’exercice pertinent et adapté aux enjeux et à ce qui est réellement matériel pour l’entreprise : le règlement autorise en effet cette souplesse et un niveau d’assurance modérée sera dans un premier temps demandé aux Organismes Tiers Indépendants lors de leur mission de contrôle. Les délais courts et le manque de maturité de la plupart des entreprises sur un tel
sujet les conduiront le plus souvent à avoir recours à des Conseils. Une approche pragmatique, de dirigeant à dirigeant, est clairement à privilégier : elle s’attachera en effet à enlever la complexité de l’exercice pour en garder toute la pertinence et nourrir ainsi une véritable réflexion de fond, passionnante et engageante.
Il s’agit d’une condition essentielle pour que ce reporting de durabilité soit vécu comme une véritable opportunité de se réinventer et non pas une nouvelle contrainte. Il est en effet autrement plus motivant pour des équipes avides de sens d'être associées à une réflexion à long terme sur la contribution de l’entreprise aux enjeux sociétaux pour en faire de véritables leviers de création de valeur partagée. C’est tout de même plus
mobilisateur que de participer à une course sans fin visant à toujours plus de chiffre d’affaires, d’EBITDA… ou de collecter toujours plus de données destinées à des reportings toujours plus exigeants mais le plus souvent vides de sens.