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10 avril 2024

Parité dans la Tech : les femmes bien décidées à jouer des codes

Où sont les femmes ? À l’évidence, pas aux Comex des entreprises du French Tech Next40/120*. Selon l’étude 2022 menée conjointement par le BCG et Sista**, moins d’une femme sur cinq occupe des postes de direction au sein de ces startups à très fort potentiel. Il est urgent de revoir les codes de la parité car il y a tout à y gagner ! Rencontre avec Alexia Reiss, Déléguée Générale de SISTA.

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En 2024, les femmes seraient-elles encore les grandes oubliées du numérique ? Oui, confirme une étude récente du cabinet McKinsey : la part des femmes dans la tech au sein de l’Union européenne plafonne à 22%. Une discrimination qui n’épargne pas la France – ni aucun pays voisin –, et surtout aux fonctions les plus hautes. L’étude menée conjointement par le collectif Sista et le BCG le confirme : seules 18% de femmes occupent un siège dans le Comex des startups du French Tech Next 40 et 22 % dans celles du French Tech 120.
 

Les femmes en mal de soutien…


Ces chiffres sont révélateurs de plusieurs problèmes structurels : un monde scolaire et universitaire qui conjugue encore trop souvent les filières scientifiques au masculin, l’absence de modèles féminins susceptibles d’inspirer des vocations, et également des inégalités dans l’accès au financement qui reste le nerf de la guerre. En 2022, seules 10 % des nouvelles startups ont été créées par des femmes(2) et les entités entièrement féminines n’ont obtenu que 7 % des levées de fonds, fonds accordés par des investisseurs à 85 %... masculins. Autres freins à la parité au plus haut niveau : d’importants écarts de rémunération hommes-femmes (19 % en moyenne), un manque de perspectives d’évolution et/ou une faible flexibilité dans l’organisation du travail y compris en cas de maternité. Résultat : passé 35 ans, la moitié des femmes quitte le milieu de la tech(3).
 

La parité comme levier de performance


A l’heure où l’intelligence artificielle est au centre de nombreuses polémiques, ce manque de diversité interpelle, et pas uniquement sous l’angle de l’égalité sociale. La performance économique est aussi à mettre au crédit d’une santé financière d’autant plus solide que les femmes sont présentes dans son organisation. Notamment quand on sait que les entreprises les plus féminisées au niveau des instances de direction ont des performances financières accrues de 6,5 %. Dès 2013, la Commission européenne le soulignait dans un rapport(4) indiquant que la parité femmes-hommes dans le numérique pourrait générer un gain de PIB d’environ neuf milliards d’euros par an. À l’évidence, dans une société composée pour moitié de femmes, les effectifs des entreprises auraient tout à gagner à rester aussi proches que possible de cet équilibre pour proposer des produits et services susceptibles de satisfaire toute la population et accroître leurs performances tant économiques qu’en termes d’image.
 

Tous les “genres” de l’innovation


En plus d’incarner des valeurs humaines fortes, la diversité et l’inclusion sont créatrices de valeur à tous les niveaux : elles permettent d’enrichir la réflexion en croisant différents points de vue, de mieux connaître les marchés et de stimuler ainsi l’innovation, enjeu ô combien crucial des entreprises de la tech. Comme en témoigne l’étude de la Stanford Graduate School of Business(5), la diversité des genres a même été associée directement à la hausse du cours des actions technologiques et à un intérêt accru des investisseurs institutionnels.
 

Les femmes sont aussi des talents


L’inclusion des femmes est également une réponse de choix aux problématiques d’un secteur en forte croissance et confronté à une pénurie de talents. Toujours selon McKinsey(1), le manque de main d’œuvre technologique pourrait atteindre entre 1,4 et 3,9 millions de personnes d’ici 2027 dans les pays de l’UE. En doublant les effectifs féminins, cet écart pourrait être comblé et faire progresser le PIB de 260 milliards d’euros.
 

Les vertus pas si cachées de la diversité


Réinventer les codes de l’univers de la tech en y intégrant davantage de femmes et en prenant les mesures nécessaires pour les retenir est donc crucial : une femme sera plus encline à postuler dans une organisation où la diversité est déjà encouragée et pourra également se projeter au plus haut niveau. Dans un monde en pleine mutation où l’audace et la volonté de faire bouger les lignes sous toutes ses formes sont activement recherchés, recruteurs et investisseurs devraient garder à l’esprit le nom de Nicole Eagan ! Directrice de la Stratégie et responsable de l’IA chez Darktrace, elle a réussi à élever la société au rang de leader mondial de l’IA dans la cyberdéfense en développant des algorithmes de pointe totalement inédits et a été récompensé pour cela en 2020 par le prix AI Leader of the Year aux Tech Leaders Awards.

 

 

Le regard d’Alexia Reiss, Déléguée Générale de SISTA

Publiés en novembre 2022, les résultats de l’étude que nous menons avec le BCG ont fait ressortir une situation alarmante puisqu’avec seulement 18% de femmes à des postes de direction, les startups du Next40 sont en retard sur celles du CAC40 (à 20%). C’est presque contre-intuitif s’agissant d’entreprises qui sont jeunes, souvent engagées et que l’on imaginerait volontiers à la recherche de nouveaux modèles d’organisation.

Bien sûr, certaines initiatives existent telles que le Pacte Parité de la Mission French Tech, qui engagent les entreprises signataires (plus de 200 startups françaises à fin 2023) sur des objectifs chiffrés (représentation, formation, congé parental etc.). Mais je suis convaincue que le changement réel et définitif viendra de nous, femmes et hommes. D’un côté, les femmes doivent se projeter « dirigeantes » même si on ne les y encourage pas vraiment et que le milieu tech compte peu d’exemples de leaders féminins. Sachez par exemple, qu’une femme attend en moyenne d’avoir 10 ans d’expérience dans le secteur des technologies avant de se sentir légitime à créer sa propre structure ! De l’autre côté, les hommes ne mesurent absolument pas le problème, et s’ils en ont conscience, ils ne le considèrent pas comme une urgence à traiter. Or, aux manettes des principales responsabilités de ces entreprises de la tech, le changement passera en – grande – partie par eux !

Il est reconnu que nous faisons davantage confiance à nos pairs qu’à tout autre. Un investisseur homme, sans forcément s’en rendre compte, privilégiera une startup fondée par un homme, toutes choses égales par ailleurs. Et cela uniquement parce qu’inconsciemment il fait confiance au schéma qu’il connait le mieux : le sien. 

Dans notre baromètre, nous avons une dégradation de la place des femmes au fur et à mesure de la vie des startups : une fois créées, les startups d’équipes exclusivement féminines concentrent uniquement 7% des levées de fonds, et 2% des financements. Et il n’y que très peu de raisons que cela change tant que nous ne nous adresserons pas plus à des investisseurs, eux-mêmes plus mixtes, donnant une place aux partners femmes. 

Il est donc fondamental de lever ces biais, de recruter sans arrière-pensée, parmi les investisseurs comme dans les entreprises, et de donner à tous et à toutes progressivement les moyens de dialoguer de pairs à pairs, sans que n’entre en jeu la question de genre… 

Notre charte SISTA offre une feuille de route tangible, préconisant la mesure de la représentation des sexes, des pratiques de recrutement et d'investissement inclusives, ainsi que la mise en avant de roles models féminins dans la Tech. En encourageant une culture de l'égalité, en sensibilisant et formant l'écosystème aux biais cognitifs de genre qui impactent à hauteur de 35 % des disparités de financement et en garantissant que chacun y accède équitablement, nous pouvons tracer une nouvelle voie où les femmes entrepreneures auront toutes les chances de se faire une place dans le monde des startups. 

                                                                               

* Lancé en 2019 par la Mission French Tech, le French Tech Next40/120 est un programme d’accompagnement de l’État dédié aux 120 start-ups françaises les plus performantes, en capacité de devenir leaders de rang international.

** Source : https://wearesista.com/wp-content/uploads/2022/12/Infographie-SISTA-BCG.pdf

(1) Source : "Women in tech: The best bet to solve Europe’s talent shortage", McKinsey Digital, 24 janvier 2024.

(2) Source : “Dans la tech européenne, les femmes sont toujours sous-représentées et sous-financées”, L'usine Digitale, 16 juin 2023.

(3) Source : “Une femme sur deux quitte la tech après 35 ans : comment mieux retenir ces talents ?” Maddyness, 14 novembre 2023.

(4) Source : “Stratégie numérique: accroître la présence des femmes dans le secteur de l'économie numérique de l'UE permettrait d'augmenter de 9       milliards d'euros le PIB annuel, selon une étude de l'UE”, Commission Européenne, 3 octobre 2023. 

(5) Source : "Do Investors Really Care About Gender Diversity?", Stanford Graduate School of Business, 17 septembre 2019.